Chapitre 14
Les dirigeants
Dans le langage courant, les dirigeants sont les personnes qui se retrouvent à la tête d’une entreprise, d’une organisation ou même d’un État, et qui y exercent le pouvoir. Le rôle des dirigeants d’une coopérative diffère de cette définition usuelle. En effet, bien qu’ils assument certaines responsabilités et une forme de leadership dans la coopérative, les dirigeants ne disposent pas individuellement de réels pouvoirs. Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, dans une coopérative, le pouvoir décisionnel s’exerce de façon collégiale principalement à l’assemblée des membres et au conseil d’administration.
La Loi sur les coopératives traite principalement des dirigeants aux articles 112.1 à 116.
Section 14.1
Les postes de dirigeants d'une coopérative
Les dirigeants d’une coopérative sont le président, le vice-président, le secrétaire et, le cas échéant, le trésorier, le directeur général ou gérant (L.c., art 112.1).
Fiche juridiqueLe président et le vice-président doivent obligatoirement être des administrateurs de la coopérative (L.c., art. 112.1). Donc, les postes de secrétaire et de trésorier pourraient, en principe, être occupés par des personnes qui ne sont pas administrateurs de la coopérative. En pratique, toutefois, ces postes sont occupés par des administrateurs dans les coopératives d’habitation.
Quant au directeur général ou gérant, il ne peut en aucun cas être administrateur de la coopérative (L.c., art. 117). Par conséquent, le cumul des postes de président et de directeur général (président-directeur général ou P.-D.G.) ne peut exister en vertu de la Loi sur les coopératives.
Le conseil d’administration pourrait, de plus, si le Règlement de régie interne l’y autorise, créer d’autres postes de dirigeants (L.c., art. 112.2).
Section 14.2
Nomination et durée du mandat
Tous les dirigeants de la coopérative sont nommés par le conseil d’administration. L’assemblée des membres ne pourrait donc pas légalement désigner elle-même les dirigeants. Concrètement, lors de la première réunion d’un nouveau conseil d’administration – qui se déroule au cours ou quelques jours après l’assemblée annuelle (L.c., art. 113) –, le conseil choisit les dirigeants, un poste à la fois.
La Loi ne précise pas la durée des mandats des dirigeants. La coopérative a donc une certaine latitude à cet égard. En pratique, toutefois, dans la plupart des coopératives d’habitation, les dirigeants sont tous nommés parmi les administrateurs et restent habituellement en fonction aussi longtemps que dure leur mandat à titre d’administrateurs. Au besoin, néanmoins, le conseil pourrait revoir en cours d’année les postes de dirigeants.
Un dirigeant peut démissionner à ce titre tout en demeurant administrateur. L’inverse n’est pas nécessairement vrai. Ainsi, dans le cas du président et du vice-président, la perte du statut d’administrateur de la coopérative (par exemple à la suite d’une démission ou d’une révocation) entraîne automatiquement la fin du mandat à ces postes de dirigeant.
Puisque le conseil d’administration nomme les dirigeants, il a également le pouvoir de les destituer. Ce pouvoir ne pourrait légalement être exercé par l’assemblée, sauf dans le cas où les membres ont conclu une convention d’administrationVoir la section ''Convention d'administration par l'assemblée des membres''(Section 12.5) . La destitution des dirigeants se fait au moyen d’une résolution adoptée par le conseil.
Quant aux motifs pouvant justifier la destitution d’un dirigeant, il faut distinguer le cas du directeur général ou gérant de celui des autres dirigeants.
Directeur général ou gérant
En principe, le conseil d’administration de la coopérative embauche la direction générale à titre d’employé. Les lois applicables à un contrat de travail (ex. : Code civil du Québec, Loi sur les normes du travail) s’appliquent alors. Ainsi, en cas de renvoi injustifié d’une direction générale par la coopérative, celle-ci pourrait faire l’objet de recours judiciaires ou administratifs et, éventuellement, être condamnée à verser une indemnité ou des dommages-intérêts. Avant de procéder au renvoi d’une direction générale, la coopérative devrait faire appel à une ressources externe (ex. : fédération, conseiller en gestion de ressources humaines, conseiller juridique).
Dirigeants autres qu’un directeur général ou gérant
La destitution par le conseil d’un dirigeant autre que le directeur général ne requiert pas de motifs spéciaux. Rappelons cependant que le pouvoir du conseil de destituer un dirigeant n’implique pas également le pouvoir de révoquer son mandat d’administrateur. Ce pouvoir appartient de façon exclusive à l’assemblée.
Section 14.3
Rôle des dirigeants
Les pouvoirs et les devoirs des dirigeants sont déterminés par le Règlement de régie interne (L.c., art. 117).
14.3.1. - Président
De façon générale, le président veille au bon fonctionnement du conseil d’administration. La Loi donne également de façon expresse au président certains pouvoirs limités :
- Décréter seul la tenue d’une assemblée extraordinaire (c., art. 77);
- Convoquer les réunions du conseil d’administration (c., art. 92);
- Disposer d’un vote prépondérant, en cas d’égalité lors d’un vote en assemblée (c., art. 72);
- S’il préside lui-même la réunion du conseil – ce qui est habituellement le cas –, disposer d’un vote prépondérant en cas d’égalité des voix (c., art. 93).
Vote prépondérant
Lorsque l’on dit que le président dispose d’un vote prépondérant, cela signifie qu’après un vote à l’assemblée ou au conseil, s’il y a égalité (incluant le vote du président), la décision ira dans le sens du vote du président. Autrement dit, le vote prépondérant ne constitue pas un deuxième vote, mais ajoute du poids au vote déjà exprimé, ce qui permet de trancher advenant une égalité numérique.
Prenons un exemple : Jaques est président de la coopérative. En plus de Jacques, quatre autres membres siègent également au conseil d’administration. Lors de la dernière réunion, l’un de ceux-ci était absent. Appelés à décider d’une proposition de résolution, les quatre administrateurs présents passent au vote. Jacques et un autre administrateur votent en faveur de la résolution, les deux autres administrateurs votent contre. Bien que le nombre de votes en faveur de la résolution soit égal au nombre de votes contre, la résolution est adoptée puisque le président a voté en faveur de celle-ci.
Parmi les autres responsabilités usuelles (mais non obligatoires) du président figurent :
- Préparer l’ordre du jour des réunions du conseil;
- Présider les réunions du conseil;
- Présider les assemblées, à moins que la présidence d’assemblée ne soit impartie à une autre personne;
- S’assurer que l’information pertinente soit transmise aux administrateurs et aux membres;
- Veiller à ce que la coopérative et le conseil agissent conformément à la Loi, en respectant les statuts, règlements et politiques de la coopérative;
- Voir au suivi des décisions de l’assemblée des membres et du conseil d’administration;
- Soutenir, au besoin, les administrateurs et les comités dans la réalisation de leurs mandats ou lors d’interventions particulières;
- Représenter la coopérative lors de rencontres avec des tiers ou à l’occasion d’activités dans le Mouvement ou dans la communauté.
- Accueillir les nouveaux administrateurs et veiller à ce qu’ils s’intègrent convenablement.
Le président de la coopérative devrait être une personne chez qui on reconnaît un leadership positif et une capacité à rassembler. Le président devrait de plus être un membre, un locataire et un administrateur dont la conduite a toujours été exemplaire.
Cela étant, tous doivent garder à l’esprit que le président demeure un administrateur au même titre que les autres membres du conseil. Par conséquent, à moins d’avoir été mandaté par le conseil d’administration, il ne peut, en raison de son seul titre, engager la coopérative, conclure des ententes ou prendre des décisions relevant de l’assemblée des membres ou du conseil d’administration.
Enfin, lorsque la coopérative engage un directeur général, le président n’a pas le pouvoir d’agir comme un supérieur hiérarchique auprès de celui-ci. En effet, le directeur général relève du conseil d’administration.
Article14.3.2. - Vice-président
On reconnaît en général trois principales responsabilités au vice-président :
- En cas d’absence ou d’incapacité du président, le vice-président le remplace et exerce ses pouvoirs (c., art. 115), incluant les pouvoirs donnés expressément par la Loi au président;
- Il collabore et assiste le président dans ses fonctions;
- Il soutient également le travail des différents comités de la coopérative.
14.3.3. - Secrétaire
Dans une coopérative d’habitation, le rôle du secrétaire consiste habituellement à :
- Rédiger les procès-verbaux des assemblées et des réunions du conseil;
- Être responsable de la tenue et de la garde du registre et des archives de la coopérative tout en s’assurant que les documents y soient classés et conservés adéquatement (voir le chapitre 22);
- Annuellement procéder à la mise à jour du plan de classification et du calendrier de conservation et faire des recommandations au conseil concernant la destruction des documents dont la durée de vie utile est écoulée;
- Recevoir la correspondance de la coopérative, en faire rapport au conseil et en assurer le suivi;
- Transmettre les avis de convocation des assemblées et des réunions du conseil d’administration;
- Transmettre aux divers organismes publics et gouvernementaux les documents exigés par la loi.
Dans le cas des coopératives ayant à leur emploi une direction générale, les tâches habituellement dévolues au secrétaire peuvent, en partie ou en totalité, être exécutées par la direction. Le secrétaire conserve cependant la responsabilité de ces tâches et doit donc s’assurer de leur exécution.
14.3.4. - Trésorier
Les rôles et les tâches du trésorier sont susceptibles de varier considérablement selon la taille de la coopérative et le mode de gestion adopté par celle-ci (ex. : gestion exclusive par les membres, gestionnaire externe, tenue de livres impartie à l’externe, embauche d’une direction générale et d’employés). Dans la majorité des coopératives d’habitation, le trésorier va :
- De façon générale, s’occuper de la gestion financière de la coopérative;
- Agir à titre de responsable du comité des finances ;
- Être responsable de la tenue des livres comptables et de la présentation des états financiers au conseil et à l’assemblée;
- Voir à ce que le conseil ait en main des rapports périodiques sur la situation financière de la coopérative;
- Agir à titre de signataire, avec toute autre personne désignée à cet effet par le conseil;
- Élaborer, avec les autres membres du conseil, les prévisions budgétaires et voir à la préparation des états financiers annuels de la coopérative;
- Voir à la préparation des livres comptables en vue de la vérification (audit) prévue par la Loi.
Rémunération du secrétaire et du trésorier
La Loi prévoit la possibilité pour la coopérative de rémunérer le secrétaire et le trésorier, ce qui n’est pas le cas pour le président et le vice-président. S’il y a lieu, cette rémunération doit être déterminée par les membres lors de l’assemblée annuelle (L.c., art 76).
14.3.5. - Directeur générale ou gérant
Rappelons d’abord que le directeur général ou le gérant Si une personne occupe un poste de coordonnateur à l’exclusion d’un autre directeur général ou gérant, qu’il accomplit les tâches généralement reconnues d’un directeur général ou d’un gérant, alors cette personne pourrait être considérée comme un directeur général ou un gérant, nonobstant son titre, au sens de l’article 112.1 LC. est un dirigeant de la coopérative au sens de la Loi (L.c., art. 112.1). Rappelons également qu’en vertu de l’article 90 de la Loi sur les coopératives, le conseil d’administration a l’obligation d’engager un directeur général ou un gérant, à moins d’en être exempté par un règlement. Une coopérative d’habitation qui ne souhaite pas embaucher un directeur général doit donc s’assurer qu’une telle disposition soit ajoutée au Règlement de régie interne, comme c’est le cas dans les modèles proposés par la CQCH Voir la sous-section ''Principaux règlements'' (Sous-section 4.2.3) .
Historiquement, peu de coopératives d’habitation embauchent une direction générale. Bien qu’en 2019, elles représentaient moins de 5 % des 1 300 coopératives d’habitation québécoises, les coopératives ayant à leur emploi un directeur ou une directrice générale représentent cependant un phénomène en croissance Selon une étude publiée en 2006 par la direction des coopératives du Ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation (MDEIE) (MDEIE, 2006, Les coopératives d’habitation au Québec – 2005, 66 pages), les coopératives d’habitation québécoises comptaient en 2005 51 employés et on estimait que seulement 4 ou 5 coopératives avaient plus d’un employé à temps plein. Selon les données fournies par la Direction de l’entrepreneuriat collectif du MEI, on comptait en 2017 165 personnes à l’emploi des coopératives d’habitation. On estime actuellement à plus d’une trentaine le nombre de coopératives d’habitation ayant une direction générale. .
Donc, s’il y a lieu, la direction générale est embauchée par le conseil et relève de ce dernier.
Comme c’est le cas pour les autres dirigeants de la coopérative, les pouvoirs du directeur général sont déterminés par le Règlement de régie interne. Voici quelques-uns des pouvoirs usuels de la direction générale Source : MEI, modèle de règlements généraux pour une coopérative de consommateur. :
- Sous la surveillance immédiate du conseil, il administre, dirige et contrôle les affaires de la coopérative;
- Il a la responsabilité immédiate des biens meubles et immeubles de la coopérative;
- Il a la garde du portefeuille, des fonds et des livres de comptabilité ainsi que la responsabilité de la tenue de la comptabilité;
- Il est responsable de la gestion du personnel, il engage tous les employés, en répartit le travail et détermine leur salaire selon le barème établi par le conseil. Il informe le conseil des nominations, suspensions, congédiements et mises à pied d’employés;
- Il présente au conseil un rapport mensuel de gestion;
- Il doit soumettre les livres dont il a la garde à la vérification prévue par la Loi;
- Au cours des six mois qui suivent la fin de chaque exercice, il doit voir à la préparation du rapport annuel prévu à l’article 132 de la Loi, collaborer avec l’auditeur et soumettre au conseil le rapport annuel pour approbation;
- Il doit se conformer aux instructions du conseil et lui fournir tous les renseignements que ce dernier peut exiger;
- La fonction de directeur général est incompatible avec la qualité d’administrateur.
La relation entre le conseil d’administration et la direction générale
Comme nous venons de le voir, la direction générale relève du conseil d’administration et elle doit se conformer aux orientations, demandes et instructions du conseil. Ce dernier exerce une forme de contrôle sur la gestion par la direction générale. Il a de plus le devoir d’évaluer périodiquement la direction.
Toutefois, le contrôle exercé par le conseil ne doit pas être de nature à compromettre la capacité de la direction de gérer adéquatement les opérations courantes de la coopérative. Le conseil doit ainsi éviter de s’immiscer indûment dans le travail quotidien de la direction. Après tout, si la coopérative embauche une direction générale, ce n’est pas pour faire le travail à sa place! L’expression anglaise nose in, hands out (littéralement « mettre le nez dedans, mais garder les mains en dehors ») résume bien l’équilibre qui doit caractériser l’intervention du conseil auprès de la direction.
Les rapports entre le conseil et la direction générale devraient donc reposer sur :
- Le respect des individus et de leurs compétences respectives : Le conseil a embauché le directeur ou la directrice parce qu’il estimait que cette personne avait les qualités personnelles et les compétences requises pour faire le travail. Réciproquement, la direction doit comprendre et respecter son rôle et celui du conseil d’administration;
- L’adhésion par la direction générale aux valeurs et à la mission de la coopérative : Cela inclut évidemment les principes et valeurs coopératives, mais également la culture qui s’est développée au fil des ans dans la coopérative. Une fois cela acquis, la direction pourra ou même devra contribuer au développement de cette culture organisationnelle;
- Une confiance mutuelle : La confiance est à la base de la relation conseil d’administration – direction générale. La direction doit avoir un niveau de confiance élevé dans le bien-fondé des orientations et des décisions prises par les membres et le conseil d’administration. De son côté, le conseil d’administration doit montrer une confiance (mais pas une confiance aveugle!) à l’égard de la direction. Le bris de confiance du conseil envers la direction générale rend impossible la poursuite de la relation;
- La transparence de la gestion par la direction : Le conseil a le droit et le devoir de poser des questions à la direction générale, d’obtenir des réponses et des explications de sa part, afin d’être en mesure de comprendre les enjeux ou dossiers au sujet desquels les administrateurs pourraient être appelés à prendre des décisions;
- Une relation distanciée : Bien que les relations doivent demeurées cordiales et respectueuses, le conseil et la direction devraient maintenir une saine distance entre eux. Par exemple, une relation trop amicale pourrait nuire au jugement et à l’évaluation du travail de la direction par les administrateurs. Inversement, des rapports trop hostiles risquent d’empoisonner les relations et de paralyser le fonctionnement de la coopérative;
- Des rôles et des responsabilités clairement définis : Chaque coopérative dispose d’une marge de manœuvre pour définir les attentes qu’elle a à l’égard de la direction, ainsi que les pouvoirs et les devoirs de celle-ci. L’important c’est que les « règles du jeu » soient définies avec soin et connues à l’avance par les parties. Ainsi, le Règlement de régie interne, la description des fonctions, le contrat de travail et tout autre document devraient être le plus explicites possible quant aux rôles, pouvoirs et devoirs respectifs du conseil d’administration et de la direction.
Relations entre la direction générale et les comités
La direction générale comme les comités de gestion de la coopérative relèvent du conseil d’administration. En principe, il n’y a pas donc pas de rapport hiérarchique entre les comités de gestion et la direction générale. Le fait qu’un ou plusieurs administrateurs participent à un comité de gestion n’ont pas pour effet de donner à ce comité quelque pouvoir sur la direction. Rappelons, en effet, que les administrateurs n’ont de pouvoir décisionnel que lors des réunions du conseil dûment tenues.
Cependant, si le Règlement de régie interne prévoit la constitution d’un comité exécutif (L.c., art. 107) et que le conseil d’administration a délégué à celui-ci des pouvoirs, il pourrait exister un rapport hiérarchique selon le mandat accordé à ce comité et les pouvoirs qui lui sont délégués Le conseil d’administration d’une coopérative dont les produits de l’exercice précédent sont d’au moins 10 000 000 $ peut, si le règlement l’y autorise, constituer d’autres comités composés d’administrateurs, déterminer leur mandat et leur déléguer certains de ses pouvoirs (L.c., art. 108.1). De tels comités pourraient eux-aussi, en principe, exercer certains pouvoirs sur la direction générale. Notons cependant que très peu, voire même aucune, coopérative d’habitation québécoise n’a un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 10 000 000 $. .
POUR EN SAVOIR UN PEU PLUS …
Roméo Malenfant, Éditions DPRM, 2018, La Gouvernance et le conseil d’administration d’un OSBL, 7e édition.