Chapitre 16
Préservation du patrimoine collectif
Section 16.7
Coopératives détenant des immeubles par emphytéose
Au Québec, plusieurs dizaines d’ensembles immobiliers coopératifs ont été construits sur des terrains appartenant à des tiers (ex. : communautés religieuses, ministères ou organismes gouvernementaux, municipalités, etc.), que les coopératives détiennent en vertu d’une emphytéose (anciennement bail emphytéotique). Cette pratique était particulièrement répandue dans la région de Montréal au cours de la décennie 1980 (programme de l’article 95) et au début des années 1990 (Programme fédéral des coopératives d’habitation (PFCH/PHI)).
Pistes de solutionsLe Code civil du Québec définit l’emphytéose comme « le droit qui permet à une personne (l’emphytéote, en l’occurrence la coopérative), pendant un certain temps, d’utiliser pleinement un immeuble appartenant à autrui et d’en tirer tous les avantages. Ce droit de l’emphytéote, comporte en contrepartie l’obligation de ne pas compromettre l’existence de l’immeuble et d’y faire des constructions, ouvrages ou plantations qui augmentent sa valeur d’une façon durable » (C.c.q, art. 1195).
16.7.1 - Quelques règles importantes concernant l’emphytéose
- La durée de l’emphytéose ne peut excéder 100 ans (c.q, art. 1197). Dans le cas des emphytéoses conclues par les coopératives d’habitation, cette durée correspond habituellement à la période d’amortissement de l’emprunt hypothécaire initial, soit le plus souvent 35 ans;
- L’emphytéote (la coopérative) a, à l’égard de l’immeuble, tous les droits attachés à la qualité de propriétaire. Il paie les taxes et peut consentir sur l’immeuble une hypothèque en faveur d’un prêteur (c.Q., art. 1200);
- À la fin de l’emphytéose :
- Le propriétaire reprend l’immeuble libre de tous droits et charges consentis par l’emphytéote (par exemple une hypothèque) (c.Q., art. 1209);
- L’emphytéote (la coopérative) doit remettre (sans compensation) l’immeuble en bon état avec les constructions, ouvrages ou plantations qui s’y trouvent (c.Q., art. 1210), y compris les immeubles d’habitation appartenant à la coopérative.
16.7.2 - Risques pour la coopérative
L’emphytéose peut apparaître comme un moyen pratique et peu coûteux d’avoir accès à des terrains situés dans des secteurs où se font sentir une rareté et une spéculation immobilière (ex. quartiers centraux des grandes villes). Elle comporte néanmoins des inconvénients majeurs qui, plus l’échéance de l’emphytéose approche, pourraient menacer l’existence même de la coopérative. Celle-ci pourrait en effet :
- Perdre tous ses droits sur les immeubles à la fin de l’emphytéose, y compris les bâtiments qu’elle aurait fait construire, advenant le cas où le propriétaire décide de ne pas renouveler l’emphytéose;
- Se trouver dans l’impossibilité d’obtenir du financement, par exemple pour rénover ses immeubles. Les institutions financières n’accepteront pas, en effet, de consentir un prêt garanti par une hypothèque dont la période d’amortissement excède la durée de l’emphytéose.
16.7.3 - Solutions à envisager
Malgré les risques que pose l’emphytéose, des solutions existent. En effet, dans la plupart des cas, le propriétaire du terrain a consenti à l’emphytéose d’abord et avant tout à des fins sociales ou caritatives. Il y a donc de bonnes chances pour qu’il consente à trouver une solution avec la coopérative. Cependant, ne tenez rien pour acquis et agissez. Votre fédération peut vous aider pour ce travail.
- Si vous avez un doute concernant le fait que votre coopérative soit pleinement propriétaire de l’ensemble de ses immeubles, faites les vérifications qui s’imposent afin de savoir si une emphytéose grève le terrain sur lequel sont construits ses bâtiments.
- Si les terrains de la coopérative sont effectivement détenus en vertu d’une emphytéose, vérifiez le moment où prendra fin l’emphytéose. Cela vous donnera une idée de la marge de manœuvre dont vous disposez.
- Entreprenez vos démarches sans tarder, cela permettra d’identifier la meilleure solution et évitera à tous les membres de la coopérative un stress inutile.
- Envisagez d’abord avec les membres de la coopérative les différentes possibilités à explorer avec le propriétaire, soit principalement :
- Renouveler l’emphytéose : Cette option n’est pas idéale, car elle comporte les mêmes risques et ne fait que repousser à plus tard l’échéance. Si le propriétaire tient à conserver l’emphytéose, tentez de négocier un terme plus long, en vous rappelant néanmoins que la durée maximale de l’emphytéose est de 100 ans.
- Opter pour un autre mécanisme juridique : Le Code civil prévoit différents instruments juridiques qui permettent de détenir et d’utiliser un immeuble appartenant à une autre personne. Par exemple, la propriété superficiaire combinée avec un droit d’usage représente une formule plus souple pour les parties que l’emphytéose.
- Acheter le terrain du propriétaire : Bien qu’elle requière des investissements importants, cette solution, si elle s’avère possible, devrait être sérieusement envisagée par la coopérative. En effet, l’achat du terrain va sécuriser les droits de la coopérative sur ses immeubles. Cette transaction facilitera de plus le refinancement éventuel des immeubles en rassurant les prêteurs. Il faut également tenir compte du fait que l’achat va permettre d’économiser le coût de la redevance que peut exiger le propriétaire.
Dans les scénarios a. et b., le propriétaire pourrait exiger une redevance ou un loyer plus élevé que celui que la coopérative paie actuellement. Il ne s’agit certes pas là d’une perspective attrayante, mais elle est et de loin préférable à l’hypothèse d’une reprise éventuelle.
Rappelons en terminant que les administrateurs ont le devoir d’agir dans l’intérêt de la coopérative voir la sous-section ''Devoirs des administrateurs''(Sous-section 13.3.2).La négligence des administrateurs ou une omission volontaire de leur part à agir pour sécuriser le droit de propriété de la coopérative dans les cas où les terrains sont détenus par emphytéose pourrait entraîner leur responsabilité personnelle et éventuellement donner lieu à des recours par la coopérative elle-même ou par des membres.